Deux ailes pour l’âme : foi et raison au-delà du concordisme
- Cyprien.L
- 7 avr.
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Dernière mise à jour : il y a 7 jours

Introduction
L’une des critiques les plus récurrentes adressées aux catholiques dans le débat contemporain tient à une accusation de « concordisme », c’est-à-dire à l’idée que les croyants chercheraient maladroitement à faire coïncider les vérités révélées de la foi avec les découvertes scientifiques modernes, comme pour conjurer la peur d’un monde sans Dieu. Ce reproche, souvent formulé avec une condescendance voilée ou assumée, trahit moins une analyse sérieuse de la pensée chrétienne qu’un réflexe idéologique, largement alimenté par une vision simplificatrice de ce que serait « la religion ». Sous l’étiquette vague et réductrice de « croyants », sont amalgamées des traditions aux cosmologies, aux épistémologies et aux lectures scripturaires profondément différentes. Cette généralisation, que récusent volontiers les penseurs critiques quand elle s’applique à d’autres groupes humains, devient curieusement acceptable lorsqu’elle vise les chrétiens.
Il ne s’agit pas ici de nier que certains catholiques aient, parfois, cédé à la tentation concordiste – souvent par souci apologétique face à l’hostilité ambiante, ou par besoin rassurant de cohérence entre foi et rationalité. Mais réduire la tradition catholique à ces réflexes ponctuels, sans historicité ni nuance, revient à effacer plus de deux mille ans de dialogue patient, parfois conflictuel, mais toujours vivant, entre la foi et la raison.
Loin d’avoir pour vocation de concurrencer les sciences naturelles, la Révélation biblique vise une tout autre finalité : dire le sens, non la mécanique des choses. Dès les origines, les penseurs chrétiens ont perçu que les Écritures n’étaient pas des traités scientifiques, mais des textes à déchiffrer dans la profondeur de leur langage symbolique, théologique et existentiel. La tradition patristique, médiévale et moderne regorge d’exemples d’une lecture plurielle, allégorique et non littéraliste des Écritures, en particulier des premiers chapitres de la Genèse. Et plus profondément encore, c’est toute l’histoire du catholicisme qui témoigne d’un effort constant, souvent méconnu, pour articuler la lumière de la foi avec les progrès de la connaissance humaine – non par soumission, mais par cohérence intérieure.
C’est pourquoi il devient nécessaire aujourd’hui de répondre, non par une contre-attaque, mais par une clarification exigeante : non, le catholicisme n’a pas pour moteur une volonté maladive de concilier la Bible avec la science. Oui, il existe, au sein de l’Église, une tradition féconde d’articulation entre foi et raison, entre mystère et intelligibilité. Cette réfutation du concordisme généralisé s’organisera en trois mouvements : d’abord, une mise au jour du malentendu sémantique et herméneutique qui nourrit l’accusation ; ensuite, une relecture historique du rapport de l’Église à la science, loin des clichés ; enfin, une défense du droit – et même du devoir – pour les catholiques de penser leur foi dans le dialogue avec le monde, malgré les railleries de certains milieux qui, tout en se réclamant de l’ouverture, refusent aux croyants cette articulation.
Axe I – Contre le mythe du concordisme universel : la finalité non scientifique de la Révélation et la pluralité des lectures patristiques
L’accusation de concordisme qui vise les catholiques repose sur une méprise méthodologique : elle applique aux textes bibliques les critères de scientificité propres à la modernité, comme si leur valeur reposait sur leur capacité à décrire des faits mesurables ou des phénomènes naturels observables. L’intention des Écritures, et tout particulièrement des récits de la Genèse, n’est nullement de satisfaire à une exigence positiviste. Leur finalité n’est pas de fournir un modèle cosmologique, mais de révéler le sens profond de l’existence, la dépendance radicale de l’être humain envers son Créateur, et l’entrée du mal dans l’histoire. Ce que la Bible propose, ce n’est pas une causalité mécanique, mais une causalité métaphysique.
Les Pères de l’Église l’avaient très tôt compris. Origène, dans son De principiis, écrit avec clarté :
« Il est impossible de prendre à la lettre le récit de la création dans la Genèse : autrement Dieu serait présenté comme un jardinier qui plante un jardin à l’est de l’Éden, et l’homme serait littéralement formé de la glaise comme un pot de terre. » (De principiis, IV, 1, 16)
Il poursuit :
« Qui serait assez insensé pour croire que Dieu, à la manière d’un paysan, ait planté un jardin dans l’Éden, à l’orient, et qu’il y ait mis un arbre de vie, visible, dont le fruit donne la vie ? »
Augustin souligne également dans Les Confessions que la diversité des lectures possibles de la Genèse est légitime :
« Mais, qui d’entre nous a si bien découvert cette intention, parmi tant de vérités que ces paroles peuvent contenir ? » — Confessions, Livre XII, chapitre 24, §33.
Cette approche symbolique ou anagogique n’est pas marginale : elle constitue le cœur de l’herméneutique chrétienne. Thomas d’Aquin en fera d’ailleurs un principe méthodologique fondamental dans la Somme théologique, distinguant le sens littéral du sens spirituel (allégorique, moral et anagogique) sans jamais réduire l’un à l’autre :
« Le sens spirituel est fondé sur le sens littéral, et ce dernier est celui voulu par l’auteur humain. Mais le sens spirituel est celui que Dieu veut à travers les réalités signifiées. » (Somme théologique, I, q. 1, a. 10)
Cette tradition s’est perpétuée dans le Magistère. Le Catéchisme de l’Église catholique, publié sous Jean-Paul II, enseigne avec netteté :
« Le récit de la Création, dans le langage symbolique de la Bible, exprime les vérités profondes sur Dieu, la création, l’homme et le péché. » (CEC, §337)
Et encore :
« La méthode d’interprétation historico-critique et les autres approches scientifiques sont légitimes dans la mesure où elles respectent le caractère inspiré des textes. » (CEC, §110)
Même dans le judaïsme ancien, des penseurs comme Philon d’Alexandrie rejetaient une lecture matérialiste du récit biblique, ici par exemple dans cette paraphrase :
« Il ne faut pas croire que Dieu ait fait le monde en six jours. Ce serait introduire dans le monde un concept de temps là où il n’y en avait pas encore. Les six jours sont une manière ordonnée de présenter la création. » (De opificio mundi, §13)
Il serait donc faux de prétendre que la lecture littérale des récits fondateurs a toujours prévalu. Même dans le judaïsme ancien, certaines traditions ont proposé des lectures non historicisantes. Philon d’Alexandrie, contemporain du Christ, interprétait le jardin d’Éden comme une figure de l’âme humaine, et les six jours de la Création comme des principes logiques, non comme des durées chronologiques. Les rabbins du Talmud débattaient déjà des significations profondes des versets, avec une liberté d’exégèse qui réfutait toute lecture strictement réaliste.
Il convient de rappeler ici une règle d’or de l’exégèse patristique : la pluralité des sens. Toute lecture de l’Écriture qui prétend enfermer le texte dans un seul registre – surtout s’il est scientifique – trahit l’intention du texte et l’intention du Dieu qui parle à travers lui. L’enseignement catholique, fidèle à cette tradition, a maintenu cette pluralité dans ses catéchèses et ses déclarations. Le Catéchisme de l’Église catholique (CEC §337-338) enseigne ainsi que les récits de la Création « expriment des vérités profondes sur Dieu, la création, l’homme et le péché, dans un langage symbolique » – ce qui invalide d’emblée toute lecture concordiste au sens strict.
C’est pourquoi l’idée selon laquelle les catholiques chercheraient à « faire coller » les découvertes scientifiques à la Bible, comme si cette dernière devait s’y soumettre pour conserver sa validité, repose sur une conception fondamentalement erronée de ce qu’est la foi chrétienne, ou du moins catholique. Si certains croyants ont parfois glissé vers de telles tentatives – souvent par réaction aux moqueries ou aux assauts intellectuels du monde moderne –, ce n’est ni par fidélité à la tradition, ni par nécessité doctrinale. Ce sont là des réponses humaines, parfois malhabiles, à une pression culturelle. Mais la foi catholique, dans son cœur théologique, ne se fonde ni ne vacille au rythme des théories scientifiques : elle s’en nourrit librement, dans l’ordre propre de la raison, sans y chercher de validation.
Axe II – Le catholicisme et la science : entre transmission du savoir, crises ponctuelles et maturation du dialogue
L’image d’une Église en conflit permanent avec la science repose sur un récit simplificateur, souvent reconstruit à partir d’un petit nombre d’événements isolés érigés en paradigmes. Pourtant, dès ses origines, le christianisme – et plus spécifiquement le catholicisme – s’est nourri d’un dialogue avec les savoirs de son temps, dans une logique d’intégration plutôt que de rejet. C’est une tradition millénaire de discernement, de synthèse et de structuration du savoir que l’on occulte trop souvent.
Les Pères de l’Église, loin d’ignorer les connaissances du monde antique, s’efforcent de les comprendre à la lumière de la foi. Clément d’Alexandrie affirme que « la philosophie grecque est un don de Dieu donné aux Grecs, comme la Loi aux Hébreux » (Stromates, I, 5). Augustin, profondément influencé par le néoplatonisme, développe une pensée où la raison et la foi ne s’opposent pas mais se soutiennent : Intellige ut credas, crede ut intelligas (« Comprends pour croire, crois pour comprendre »). Il engage une lecture rationnelle et allégorique des Écritures, comme nous l’avons vu précédemment.
À partir du haut Moyen Âge, l’Église devient la principale conservatrice et transformatrice du savoir antique. Les monastères copient les textes grecs et latins, assurant la transmission du patrimoine philosophique et scientifique. Au XIIe siècle, la naissance des universités – Paris, Bologne, Oxford – se fait sous l’égide de l’Église. C’est dans les facultés de théologie et de droit canon que naît une méthode de débat et de critique, la scolastique, dont l’une des figures majeures est Thomas d’Aquin. Il soutient que :
« La vérité ne peut contredire la vérité. Ce que l’on connaît par la raison ne saurait jamais s’opposer à ce que Dieu révèle. » (Somme contre les Gentils, I, 7)
Au XIIIe siècle, Albert le Grand, dominicain et savant encyclopédiste, élabore une philosophie naturelle fondée sur l’observation, qui ouvre la voie à son disciple Roger Bacon, pionnier de la méthode expérimentale. Ces figures ne sont pas des exceptions hétérodoxes : elles sont moines, prêtres, et pleinement insérés dans l’organisme ecclésial. La science médiévale, bien loin de l’image d’un âge obscur, repose ainsi sur un socle chrétien solide.
L’époque moderne, marquée par les tensions entre Réforme et Contre-Réforme, voit apparaître des crises plus visibles, dont l’affaire Galilée est emblématique. Mais elle est souvent mal comprise : Galilée fut soutenu dans un premier temps par le cardinal Barberini (futur Urbain VIII), et même par les jésuites du Collège romain. Ce n’est pas tant la science que l’absolutisation prématurée d’un modèle encore controversé (l’héliocentrisme sans preuve expérimentale décisive) qui lui valut l’opposition de l’institution. Le procès de 1633, s’il fut injuste, fut davantage motivé par des enjeux politiques et diplomatiques que par un rejet de la science.
Au XVIIIe siècle, le catholicisme doit faire face aux Lumières, non pas tant pour des raisons scientifiques que philosophiques : le matérialisme athée, le rationalisme radical et la désacralisation du langage religieux sont au cœur des tensions. Pourtant, au XIXe siècle, de nombreux prêtres savants continuent leur œuvre : l’abbé Moigno en physique, le père Secchi en astronomie, ou encore Jean-Baptiste Carnoy en biologie. La figure du prêtre-scientifique atteint son sommet avec l’abbé Gregor Mendel, fondateur de la génétique, et surtout le chanoine belge Georges Lemaître, père de la théorie de l’« atome primitif », future théorie du Big Bang, que même Einstein qualifia d’« indigne d’un prêtre ». Lemaître refusa explicitement toute récupération apologétique de sa découverte, déclarant :
« Il ne me semble pas souhaitable de mêler trop étroitement les problèmes scientifiques aux questions religieuses. »
Le XXe siècle marque une inflexion magistérielle forte. Pie XII, dans Humani Generis (1950), ouvre la porte à la théorie de l’évolution, tout en posant les limites : l’âme humaine reste une création immédiate de Dieu. Jean-Paul II, en 1996, s’adresse à l’Académie pontificale des sciences pour reconnaître que « l’évolution est plus qu’une hypothèse », et souligne que science et foi peuvent collaborer si chacune reste dans son ordre propre.
Aujourd’hui encore, le Vatican dispose de son propre observatoire astronomique, et de nombreuses académies scientifiques fonctionnent sous sa tutelle. Des scientifiques catholiques reconnus – comme le biochimiste Henri Laborit ou le généticien Jérôme Lejeune – ont témoigné de la fécondité d’un dialogue profond, rigoureux, parfois tendu, mais toujours possible, entre science et foi. Le Concile Vatican II affirme avec force :
« Il est donc faux de penser que la foi soit opposée à la science ; elles proviennent toutes deux de Dieu et ne sauraient se contredire. » (Gaudium et Spes, §36)
Le catholicisme ne rejette pas la science : il la situe. Il lui donne une place éminente mais non totalisante, dans une vision intégrale de l’homme. Loin d’un concordisme simpliste, cette démarche s’apparente à une quête d’intelligence cohérente du réel, où la vérité de la raison et celle de la Révélation, sans jamais se confondre, s’éclairent réciproquement.
Axe III – Foi et raison : une articulation nécessaire que certains voudraient refuser aux croyants
Il est à la fois paradoxal et révélateur de constater que, dans le débat contemporain, toute tentative catholique d’articuler foi et raison est immédiatement soupçonnée de manipulation ou d’ignorance. Le croyant qui ose s’exprimer dans les termes de la rationalité est moqué pour son amateurisme ; celui qui reste dans l’expression mystique est discrédité pour son irrationalité. Comme si, en définitive, ce qu’on reprochait aux croyants, ce n’était pas tant d’être obscurantistes que de croire tout court.
Le catholicisme, pourtant, n’a jamais cessé de penser sa foi dans le cadre d’un dialogue critique et profond avec la raison. Ce n’est pas une concession moderne, ni une stratégie défensive. C’est une exigence constitutive de son identité. C’est la foi même qui exige la raison – non pour être légitimée, mais pour être comprise. Comme l’écrivait saint Anselme : fides quaerens intellectum – la foi cherche l’intelligence. Refuser ce droit d’articuler foi et raison, c’est refuser aux catholiques l’usage de l’outil même qu’on prétend défendre au nom de la modernité : la pensée.
Et pourtant, chaque pas vers ce dialogue semble immédiatement récupéré, détourné ou ridiculisé par certains milieux militants ou sceptiques. Lorsqu’un apologète catholique tente de faire le lien entre cosmologie contemporaine et théologie, il est accusé de travestir la science. Lorsqu’un théologien dialogue avec la psychanalyse ou l’anthropologie, on le somme de « choisir son camp ». Il y a là un double standard profondément injuste : ce que l’on tolère à un penseur laïque – la tension féconde entre savoirs – on le refuse au croyant, qu’on renvoie à son silence ou à ses dévotions.
Cela traduit une crispation idéologique qui ne dit pas son nom. Car ce rejet ne procède pas d’un souci épistémologique rigoureux, mais d’une volonté implicite de reléguer la foi au rang d’archaïsme. Dans ce schéma, le croyant n’a que deux rôles possibles : celui du fanatique ignoré ou celui du naïf toléré. Mais la figure du croyant intelligent, cultivé, dialoguant sans complexe avec les sciences, dérange. Elle remet en cause l’un des mythes fondateurs de la modernité post-religieuse : que la foi ne survit que dans l’ombre de l’ignorance.
L’Église catholique revendique précisément cette articulation, et elle l’enseigne officiellement. Le Concile Vatican I affirmait déjà :
« La foi n’est jamais en désaccord avec la raison, car le même Dieu qui révèle les mystères et communique la foi a donné à l’esprit humain la lumière de la raison. » (Dei Filius, ch. 4)
Le Catéchisme de l’Église catholique l’a repris :
« Il ne peut y avoir de véritable divergence entre la foi et la science, car toutes deux ont leur origine en Dieu. » (CEC, §159) Mais cette articulation n’est pas une fusion. La foi ne se réduit pas à un raisonnement logique. Elle est ouverture à une vérité qui dépasse la raison sans jamais la contredire. Elle parle un autre langage, celui du don, de la grâce, de la rencontre. C’est ce que Benoît XVI rappelait à Ratisbonne en 2006 :
« Ne pas agir selon la raison est contraire à la nature de Dieu. [...] La foi chrétienne, fidèle à son origine, est intrinsèquement raisonnable. »
Cette tension, loin d’être un problème, est une chance. C’est elle qui permet aux croyants d’entrer dans le monde sans s’y dissoudre, et de penser avec rigueur sans céder au réductionnisme. C’est elle aussi qui fonde une éthique véritable, capable de résister aux dérives de la science livrée à elle-même : car la raison peut certes dire comment, mais la foi seule peut oser poser la question du pourquoi. Il est regrettable que ceux-là mêmes qui réclament un dialogue ouvert entre les savoirs, rejettent ce dialogue lorsqu’il est porté par des croyants. À force de disqualifier toute tentative catholique de penser, on ne rend pas service à la science : on la transforme en dogme. À force de tourner en dérision ceux qui croient, on ne les libère pas : on les marginalise. Et on oublie que, dans l’histoire longue de la pensée, ce sont précisément ceux qui ont su conjuguer foi et raison qui ont porté les plus hautes espérances humaines.
Conclusion générale
Accuser l’Église catholique d’un concordisme systématique, malveillant / manipulateur / infondé , c’est d’abord méconnaître son histoire intellectuelle, mais aussi son sens profond du mystère et de la raison. Ce procès récurrent, souvent instruit par des milieux militants ou sceptiques, repose sur une série d’amalgames : amalgame entre foi et ignorance, entre religion et irrationalisme, entre apologétique maladroite et Magistère réfléchi. Ces simplifications ne résistent pas à l’examen rigoureux des sources, ni à la considération honnête de la tradition catholique dans sa complexité et sa profondeur.
Depuis les Pères de l’Église jusqu’au Magistère contemporain, en passant par les grands savants chrétiens du Moyen Âge et de l’époque moderne, l’Église n’a cessé de chercher une intelligence de la foi qui honore la raison, sans jamais prétendre enfermer la vérité divine dans les modèles fluctuants de la science. Loin d’un concordisme défensif ou idéologique, elle a toujours maintenu que la Bible n’avait ni vocation ni prétention à livrer des vérités scientifiques, et que toute lecture doit s’opérer dans le respect de son genre, de sa portée symbolique, et de son horizon sotériologique.
Il est enfin nécessaire d’ajouter une nuance importante : si certains rapprochements entre la science et la foi semblent surgir naturellement, ce n’est pas toujours le fruit d’un concordisme artificiel. Il est intellectuellement honnête de reconnaître que, dans certains cas, des intuitions anciennes – y compris bibliques – ont pu précéder des formulations théoriques plus tardives. Le fait que certaines vérités scientifiques semblent « coïncider » avec des images ou structures présentes dans les Écritures n’implique pas nécessairement une manipulation ou une récupération idéologique. Cela peut aussi témoigner d’une observation empirique ancienne, d’une intuition profonde sur la condition humaine, ou, pour le croyant, d’une inspiration réelle. Car la Bible, loin d’être un manuel scientifique, est avant tout une lecture théologique, anthropologique et spirituelle du destin de l’humanité – aussi bien dans sa dimension psychique que dans sa trajectoire physique et historique.
Dans cette perspective, il n’est pas incohérent, pour un croyant, de voir dans certaines harmonies avec les savoirs modernes un écho possible de cette inspiration. Il ne s’agit pas de prouver Dieu par la science, mais de recevoir parfois des confirmations périphériques de ce que la foi pose d’abord comme sens. Les chrétiens, sauf quelques courants fondamentalistes minoritaires, ne considèrent d’ailleurs pas les Écritures comme dictées mot à mot par Dieu – à la manière dont le Coran est compris dans l’islam classique – mais comme inspirées. C’est-à-dire que Dieu a agi à travers des auteurs humains, dans leur langue, leur culture, leur vision du monde, pour transmettre une vérité spirituelle universelle, mais sans suspendre leur liberté ni leur contexte. Cette doctrine catholique de l’inspiration sans dictée évite à la fois le littéralisme rigide et le relativisme intégral. Elle permet d’assumer que la Bible parle vrai, non pas en concurrençant les sciences, mais en éclairant l’homme de l’intérieur, là où ni le microscope ni le télescope n’ont accès.
Il ne s’agit pas ici de dire si l’Église catholique a raison ou tort dans sa foi – car ce débat dépasse le cadre de cet article. Ce n’est pas non plus parce qu’elle s’intéresse à la science ou qu’elle relit l’Évangile à la lumière des découvertes humaines qu’elle serait, par là même, plus ou moins légitime, plus ou moins crédible, plus ou moins proche de la vérité. Bien entendu, ce blog est apologétique, et mon point de vue personnel est clair. Mais l’appel que je formule ici à mes lecteurs, notamment ceux qui seraient sceptiques ou critiques, est d’un autre ordre : arrêtez d’avoir peur de nous pour de mauvaises raisons. Il y en a peut être des bonnes, et je serai le premier à les dénoncés, à me remettre en question si on me les montrais. Ne voyez pas dans chaque croyant un obscurantiste en puissance. Ne projetez pas sur le catholicisme les caricatures issues d’autres courants religieux, ni les angoisses issues de lectures à charge, souvent univoques, sur des périodes complexes comme l’Inquisition ou la Contre-Réforme.
Ces sujets méritent d’être abordés – et je m’y attellerai dans d’autres articles – mais rien ne justifie qu’on refuse aux croyants le droit de penser, de s’interroger, d’explorer, d’articuler la foi et la raison avec exigence. Cette démarche ne devrait pas faire peur. Elle devrait même, à tout le moins, susciter le respect.
Car dans cette quête de vérité, la posture catholique demeure intacte : celle d’un réalisme confiant, humble devant le mystère, mais exigeant dans sa recherche. Elle se résume peut-être le mieux dans cette phrase limpide de Jean-Paul II :
« La foi et la raison sont comme les deux ailes qui permettent à l’esprit humain de s’élever vers la contemplation de la vérité. » (Fides et Ratio, n°1)
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