Libre arbitre et espérance : pour une pastorale de la liberté intérieure
- Cyprien.L
- 4 avr.
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Dernière mise à jour : 6 avr.

Citation évangélique (Luc 23, 42-43) :
« Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras dans ton Royaume. »Jésus lui répondit : « Amen, je te le dis, aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis. »
La question du libre arbitre et de la prédestination a toujours été l’un des mystères les plus profonds de la foi chrétienne, car elle touche à la fois à la nature de Dieu et à celle de l’homme. La compréhension la plus élevée de la prédestination ne peut se faire sans considérer que le libre arbitre est, en soi, une grâce divine et non simplement un phénomène biologique ou neurologique déterminé par des mécanismes physiques et chimiques. Si le libre arbitre était simplement une conséquence du fonctionnement cérébral, alors nos décisions ne seraient que des illusions produites par des réactions neuronales préprogrammées. La science elle-même, dans ses avancées en neurophysiologie et en physique quantique, tend à montrer que l’homme n’est pas un simple automate régi par des causes mécaniques, mais qu’il existe une part d’indétermination dans la conscience humaine. Cette indétermination loin d’être un hasard aveugle, pourrait être justement la marque d’un don divin qui dépasse toute explication matérielle.
La théologie chrétienne affirme que l’homme est créé à l’image et à la ressemblance de Dieu (Genèse 1,26-27). Cette ressemblance ne peut être uniquement formelle, elle doit être substantielle, c’est-à-dire qu’elle inclut la capacité d’aimer, de créer, mais aussi de choisir librement. Or si notre liberté nous venait d’une nécessité biologique, nous ne serions pas véritablement libres, nous serions conditionnés par notre nature, comme les animaux qui, bien que dotés d’une intelligence et de comportements complexes, ne font que suivre leur instinct. Si nous sommes libres, c’est bien parce que cette liberté nous est donnée par Dieu et non par un simple enchaînement de causes matérielles. La liberté humaine est donc une participation à la liberté divine. Et cette liberté n’est pas neutre : elle est une invitation à répondre à la grâce, ce qui donne sens à la prédestination, non pas comme une contrainte imposée par Dieu, mais comme un appel à s’accomplir pleinement dans sa volonté.
Cette perspective éclaire toute la vie chrétienne. Si Dieu nous a créés libres, c’est non seulement pour nous permettre de l’aimer en vérité, mais aussi pour qu’à travers cette liberté exercée dans la foi, nous puissions manifester quelque chose qui, dans un sens mystérieux, peut même surprendre Dieu. Plusieurs passages de l’Ancien Testament montrent un Dieu qui semble surpris et qui change d’avis, comme lorsqu’il décide de ne pas détruire Ninive après la prédication de Jonas (Jonas 3,10), ou encore lorsque Moïse intercède pour le peuple et que Dieu renonce à sa colère (Exode 32,14). Cela ne signifie pas que Dieu ignorait ce qui allait se passer, mais que ces passages sont là pour nous révéler une vérité ontologique fondamentale : notre liberté est réelle et Dieu, dans sa toute-puissance, a voulu une relation avec l’homme où celui-ci a en puissance la possibilité de produire quelque chose d’unique.
Cette idée est vertigineuse : si nous sommes réellement libres, si notre libre arbitre est une grâce et non une simple mécanique biologique, alors Dieu a voulu, dans son amour infini, que nous puissions le surprendre. Il ne s’agit pas d’une surprise au sens humain du terme, comme si Dieu découvrait ce qu’il ignorait, mais d’un émerveillement éternel devant la créativité de la liberté humaine pleinement accueillie dans sa grâce. Les grands saints, ceux qui ont accompli des miracles et qui ont transformé le monde, en sont l’illustration parfaite. Lorsque Paul, persécuteur des chrétiens, se convertit sur le chemin de Damas, rien dans son passé ne laissait présager un tel bouleversement (Actes 9). De même, lorsque François d’Assise abandonne la richesse pour épouser Dame Pauvreté, il accomplit un acte qui défie toute logique humaine. Ces transformations radicales ne sont pas seulement des choix psychologiques, elles sont le fruit d’une grâce accueillie librement, qui engendre des miracles.
Si l’on limite la liberté et le libre arbitre à une simple prédestination, on tombe dans une vision du monde qui se rapproche des courants de pensée protestants, musulmans et même des philosophies fatalistes du karma. Ces doctrines, chacune à leur manière, tendent à enfermer l’homme dans un déterminisme où sa destinée est scellée soit par un décret divin absolu, soit par une accumulation de causes passées qui le conditionnent irrémédiablement. Cette conception réduit la grâce à un privilège arbitrairement donné à certains et refusé à d’autres, faisant de Dieu un maître qui distribue la foi et le salut selon son bon vouloir, indépendamment des choix humains. Une telle perspective contredit profondément la révélation chrétienne de l’amour divin, qui appelle chaque homme à la liberté véritable et au dépassement de toute condition terrestre.
Dans le calvinisme par exemple, la doctrine de la double prédestination enseigne que Dieu a, dès l’éternité, choisi certains pour le salut et d’autres pour la damnation, indépendamment de leurs actes. Cette vision nie toute possibilité d’un véritable libre arbitre en transformant la foi et le salut en des réalités imposées ou refusées d’avance. De même, dans la théologie musulmane, certaines écoles affirment que la guidance divine est octroyée à certains et refusée à d’autres par un décret divin absolu (qadar), sans que l’homme puisse réellement influer sur son propre destin spirituel. Quant aux conceptions karmiques, elles réduisent souvent la liberté humaine à une simple conséquence des actions passées, dans une mécanique où les vies antérieures conditionnent inévitablement le présent et où la notion de grâce disparaît presque totalement.
Si une telle vision était juste, alors l’histoire humaine ne serait qu’un immense théâtre où les personnages jouent un rôle déjà écrit, sans possibilité de véritable conversion, de repentir sincère ou de changement radical de trajectoire. Cela impliquerait que les aléas de la vie – la naissance dans une famille croyante ou athée, une bonne ou une mauvaise éducation, la souffrance ou le bonheur – détermineraient en grande partie notre destinée éternelle. Un tel Dieu serait-il juste ? Comment un Dieu d’amour pourrait-il laisser des âmes se perdre simplement parce qu’elles sont nées au mauvais endroit, au mauvais moment, ou avec les mauvaises influences ? Ce serait là une négation totale du Christ qui est venu chercher ce qui était perdu (Luc 19,10) et appeler tous les hommes à la conversion. C’est précisément là que la transcendance du libre arbitre et sa nature miraculeuse prennent tout leur sens dans la foi catholique. Loin d’être enfermée dans une logique de déterminisme, la liberté humaine est un don toujours renouvelé qui permet à chacun, à tout instant, de répondre à la grâce divine. L’Église devrait donc insister encore davantage sur cette dimension libératrice du libre arbitre, car elle constitue véritablement une bonne nouvelle pour tous les hommes. Personne n’est condamné d’avance, personne n’est esclave de son passé, et la sainteté n’est pas réservée à une élite prédestinée. Chacun par un acte de foi et un abandon sincère à Dieu, peut voir sa vie transformée.
Cette vérité est pleinement affirmée par le Christ lui-même, lorsqu’il dit : "Si vous avez de la foi gros comme une graine de moutarde, vous direz à cette montagne : ‘Déplace-toi d’ici à là’, et elle se déplacera. Rien ne vous sera impossible." (Matthieu 17,20). Ce passage illustre bien que la foi n’est pas un don réservé, mais une puissance accessible à tous ceux qui l’embrassent avec sincérité. Jésus insiste sur cette vérité à de nombreuses reprises : "Tout est possible à celui qui croit." (Marc 9,23), "Demandez, et l’on vous donnera ; cherchez, et vous trouverez ; frappez, et l’on vous ouvrira." (Matthieu 7,7). Ces paroles n’ont de sens que si la liberté humaine est réelle et capable, par la foi, de transformer radicalement le cours d’une existence. Saint Paul pousse encore plus loin cette vision lorsqu’il affirme : "Il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus ni homme ni femme ; car tous vous ne faites qu’un dans le Christ Jésus." (Galates 3,28). Cette déclaration est révolutionnaire : elle signifie que, dans la logique divine, les conditionnements du monde (nation, classe sociale, sexe, éducation) ne déterminent pas notre accès au salut. C’est la foi et la réponse libre à la grâce qui comptent. Cette vision contredit donc totalement toute forme de prédestination fataliste, car elle affirme que chacun, quelle que soit son origine ou son passé, peut entrer dans la plénitude de la vie divine.
Le passage de saint Paul : "Travaillez avec crainte et tremblez à accomplir votre salut. Aussi bien est-ce Dieu qui produit en vous et le vouloir et le faire en vue de sa bienveillance." (Philippiens 2,12-13) contient une apparente tension entre l’effort humain et l’action divine. D’un côté Paul exhorte les croyants à travailler activement à leur salut, comme s’il dépendait d’eux. De l’autre il affirme que c’est Dieu lui-même qui agit en eux, tant pour leur donner le désir que la capacité de faire le bien. Cette double affirmation semble paradoxale, mais elle éclaire profondément la manière dont le libre arbitre s’articule avec la grâce.
Si l’on considère que la liberté humaine est une simple mécanique biologique ou un état de fait immuable, ce passage devient difficile à comprendre. Pourquoi l’homme devrait-il trembler et craindre s’il était entièrement maître de sa volonté et de ses actes ? Pourquoi Paul insisterait-il sur l’effort si tout était prédéterminé par Dieu ? Mais si nous comprenons que le libre arbitre est en lui-même une grâce, alors tout s’éclaire. La crainte et le tremblement ne sont pas l’angoisse d’une condamnation inéluctable, mais le respect d’un don extraordinaire qui nous est confié : la liberté réelle de choisir Dieu ou de s’en détourner.
Dieu produit en nous le vouloir et le faire, mais sans jamais nous contraindre. Il suscite en nous des désirs de bien, il éclaire notre intelligence et fortifie notre volonté, mais toujours dans le respect de cette liberté qui est la marque même de notre ressemblance avec Lui. Nous avons ainsi, en puissance, le choix de répondre ou non à cet appel intérieur. Travailler à notre salut signifie alors accueillir cette grâce et la laisser s’accomplir en nous.
Paul le confirme en Éphésiens 2,10 : "Nous sommes son ouvrage, créés dans le Christ Jésus en vue de bonnes œuvres que Dieu a préparées d'avance pour que nous les pratiquions." Cette phrase ne signifie pas que nous sommes programmés pour accomplir mécaniquement un plan préétabli, mais que Dieu, dans sa sagesse, a disposé un chemin de sainteté accessible à chacun, et que notre liberté, illuminée par sa grâce, nous permet de l’emprunter.
Ces passages de Paul ne sont pas une négation du libre arbitre, mais bien une révélation de sa nature transcendante. C’est parce que la liberté humaine est un don divin qu’elle doit être exercée avec gravité, dans la conscience qu’elle peut être orientée vers le bien ou vers le mal. Et c’est parce qu’elle est soutenue par la grâce qu’elle peut dépasser toutes les limites humaines et engendrer des actes qui participent pleinement au dessein divin.
Lorsque l’Église met en avant cette compréhension du libre arbitre comme une grâce transcendante, elle annonce un véritable évangile, un message porteur d’espérance et de libération. Cette vision du salut offre à chacun la possibilité d’un nouveau départ, d’une transformation radicale, d’une sainteté inattendue. Elle explique les conversions fulgurantes, les vies brisées qui renaissent, les saints surgissant de milieux improbables. C’est cela, la puissance de la foi : une liberté qui dépasse toutes les logiques humaines et qui permet à l’homme d’être un véritable co-créateur de son histoire avec Dieu.
Selon le vocabulaire de théologie biblique, l’éclairage véritable sur la question de la prédestination émerge lorsque nous permettons au lecteur contemporain d’entrer dans la richesse de l’hébreu biblique, une langue qui distingue clairement la finalité de la consécution. En effet, lorsque l’Écriture dit « Dieu veut », il est essentiel de comprendre que, dans l’hébreu biblique, cette expression peut signifier non pas une volonté active, mais une permission. Dieu laisse faire, il permet qu’un événement survienne sans pour autant en être la cause première. Cette distinction grammaticale est cruciale, car elle évite d’attribuer à Dieu une causalité absolue sur le mal et les souffrances humaines. Cependant, une telle remarque ouvre aussi la porte à des interprétations arbitraires ou édulcorantes, où l’on pourrait réduire l’action divine à une simple passivité ou à un désintérêt providentiel, ce qui serait une lecture erronée.
Pour avancer dans cette compréhension, il faut lever deux difficultés majeures. La première est intrinsèque et vient de notre difficulté à penser la prédestination en termes de peuple avant de l’envisager en termes d’individu. Cette perspective collective est pourtant essentielle dans la pensée biblique. Dieu choisit Israël comme peuple élu, non pas pour exclure les autres nations, mais pour en faire un signe, un canal par lequel le salut pourra être offert à toute l’humanité. C’est cette élection collective que Paul développe dans l’épître aux Romains, un passage qui a malheureusement conduit à de nombreuses erreurs d’interprétation, notamment à travers les doctrines d’une double prédestination absolue. Saint Augustin, influencé par une lecture trop rigide de ces textes, en est venu à affirmer que certains seraient prédestinés à la perdition éternelle, ce qui a provoqué des angoisses profondes et un désespoir spirituel chez certains croyants. Mais une telle lecture oublie que la prédestination divine, telle qu’annoncée dans la Bible, est toujours ouverte, dynamique, et fondée sur l’amour, non sur une fatalité.
La seconde difficulté est plus profonde et tient à notre manière d’appréhender le langage de la Bible. Nous oublions souvent que l’Écriture utilise les catégories spatio-temporelles pour exprimer une expérience religieuse, prêtant ainsi à Dieu des comportements humains. Cette anthropomorphisation est inévitable, car notre langage est limité par notre condition. Dire que Dieu change d’avis, qu’il regrette, qu’il choisit, ce ne sont là que des expressions humaines tentant d’exprimer une réalité divine qui, en elle-même, transcende ces catégories. Le problème survient lorsqu’on érige ce langage en doctrine métaphysique rigide, figeant dans l’éternité ce qui est essentiellement temporel. C’est ainsi que certains en viennent à penser que la prédestination implique un rejet absolu de ceux qui ne sont pas élus. Mais cette lecture est une projection de notre perception du temps sur Dieu, alors que la révélation biblique nous invite justement à dépasser cette limite.
Dès lors, il est essentiel de bien comprendre le préfixe pré- dans des termes comme prédestination, pré-science, prévoir, pré-connaître, prédilection. Ce préfixe n’implique pas une contrainte divine imposée à l’homme, mais exprime simplement que l’initiative vient de Dieu et non de nous. C’est ce que saint Jean exprime de manière limpide lorsqu’il écrit : « Quant à nous, nous aimons parce que lui nous a aimés le premier. » (1 Jean 4,19). Loin d’être une programmation divine rigide, la prédestination est donc une révélation de l’amour premier de Dieu, un amour qui précède notre réponse libre et qui, loin de nous enfermer, nous appelle à la pleine liberté en Christ.
La grâce qui libère le libre arbitre et brise les chaînes du fatalisme
L'Église, dans son ensemble, c'est-à-dire toute la communauté des croyants, laïcs et clercs, doit aujourd’hui réaffirmer avec force l’importance d’une pastorale centrée sur l’espérance, enracinée dans la grâce divine qui, loin de contraindre, libère l’homme et son libre arbitre. Si le libre arbitre est un don miraculeux fait à l’homme en tant qu’image de Dieu, alors ce don peut être aliéné, non seulement par le péché, mais aussi par des visions du monde qui enferment l’individu dans une logique de déterminisme. Ces logiques sont multiples : elles peuvent être psychologiques, sociales, philosophiques ou même pseudo-scientifiques, et elles privent l’homme de l’horizon qui devrait être le sien, celui d’un salut toujours accessible.
Jésus lui-même a montré que le Royaume de Dieu est incompatible avec une vision fataliste de l’existence. Lorsqu’il dit : « Laisse les morts ensevelir leurs morts, et toi, va annoncer le Royaume de Dieu. » (Luc 9,60), il n’énonce pas une simple exhortation à l’abandon des attaches familiales ou sociales, mais il révèle une vérité fondamentale : l’homme ne doit pas se laisser enfermer par son passé, par ses conditionnements, par ce qui semble déjà écrit. Ce passage est une réponse à l’aliénation du libre arbitre par des déterminismes extérieurs. Jésus appelle à une liberté qui se détache des pesanteurs du monde, à une conversion qui ouvre à l’imprévu divin. Il ne s’adresse pas à des hommes déjà parfaits, mais à des pécheurs, à des publicains, à des personnes enfermées dans leurs propres histoires, et il leur dit que leur avenir ne dépend pas de leur passé, mais de leur capacité à répondre maintenant à l’appel.
Cette perspective d’une liberté restaurée par la grâce est essentielle face aux dangers d’un fatalisme scientiste ou nihiliste. Trop souvent, une vision purement matérialiste de l’existence tend à réduire l’homme à une somme de déterminismes biologiques, sociaux ou psychologiques. Selon cette logique, nos choix ne seraient qu’une illusion produite par nos neurones et nos expériences passées, rendant toute véritable conversion impossible. Cette vision du monde est profondément désespérante car elle enferme l’homme dans ce qu’il a été, dans ce que les circonstances ont fait de lui. Mais l’Évangile vient précisément briser cette logique. Il proclame que l’homme est plus que la somme de ses actes passés, plus que le produit de son environnement. Il affirme que la grâce divine peut, à tout instant, recréer l’homme de l’intérieur, lui offrir une liberté qui défie toute explication rationnelle. C’est pourquoi toute l’Église, et donc chaque croyant, doit aujourd’hui promouvoir une vision renouvelée de l’espérance chrétienne. Il ne s’agit pas simplement d’un discours institutionnel, mais d’un témoignage incarné par chaque fidèle dans son engagement personnel et communautaire. L’annonce de l’Évangile ne peut pas se réduire à un constat des faiblesses humaines ou à un rappel des exigences morales. Il faut proclamer, avec force, que le salut est toujours possible, que la liberté est toujours accessible, que Dieu veut la liberté de l’homme et qu’il agit pour qu’elle se réalise pleinement. « Si donc le Fils vous libère, vous serez réellement libres. » (Jean 8,36). Cette parole du Christ est un engagement : Dieu ne se contente pas de nous donner la liberté en principe, il nous en donne la possibilité concrète, à condition que nous l’accueillions.
L’espérance chrétienne n’est pas un optimisme naïf, mais une confiance dans la puissance de la grâce. Lorsque Jésus dit : « Tout est possible à celui qui croit. » (Marc 9,23), il ne parle pas seulement de la foi comme d’un assentiment intellectuel, mais d’une ouverture réelle à l’action divine qui transforme nos vies. C’est cette transformation que l’Église et toute la communauté chrétienne doivent proclamer. Une pastorale qui ne ferait que constater les faiblesses humaines ou souligner les exigences morales serait incomplète et risquerait d’alimenter un fatalisme religieux qui, en fin de compte, ne serait pas si différent du fatalisme scientiste. L’Évangile n’annonce pas une loi écrasante, mais une possibilité radicale de changement. « Ce qui est impossible aux hommes est possible à Dieu. » (Luc 18,27). Cette espérance n’est pas une abstraction. Elle se manifeste dans les vies qui changent, dans les conversions inespérées, dans les miracles du quotidien. C’est pourquoi chaque croyant a une responsabilité dans cette annonce : ce ne sont pas seulement les prêtres, les religieux ou les théologiens qui doivent porter ce message, mais tout baptisé. L’Église doit témoigner de cela, non seulement à travers son enseignement, mais par des récits concrets de transformation, en mettant en avant les vies restaurées par la grâce. Car si l’homme peut être aliéné par ses conditionnements, par le passé, par une vision du monde qui l’écrase, il peut aussi, par un acte de foi, entrer dans une nouvelle logique, celle du Royaume de Dieu où rien n’est jamais joué d’avance.
Le véritable combat spirituel aujourd’hui est un combat pour la liberté. Non pas une liberté illusoire qui consisterait à faire ce que l’on veut sans contrainte, mais une liberté authentique, celle qui consiste à choisir Dieu, à dépasser par lui et en lui ses propres limites, à se laisser recréer par la grâce. Toute la communauté chrétienne a le devoir d’annoncer cette liberté, de rappeler qu’aucun homme n’est enfermé dans son passé, qu’aucune vie n’est définitivement perdue. L’espérance n’est pas un supplément de confort spirituel, c’est le cœur même de l’Évangile. C’est cette espérance que l’Église, dans son ensemble, doit proclamer, non pas comme une option, mais comme la vérité même du salut en Christ.
En conclusion de ce traité, il apparaît que comprendre la prédestination sous l’angle d’un libre arbitre comme grâce divine permet de saisir pourquoi la vie chrétienne est un chemin où tout est possible. Chaque acte posé en pleine conscience et en pleine présence de Dieu peut produire un bouleversement inattendu, un miracle qui dépasse toute explication scientifique. C’est pourquoi la foi n’est pas une fatalité, mais un appel à répondre librement à l’amour divin, un amour qui ne contraint pas mais qui, lorsqu’il est accueilli pleinement, peut transformer une vie en un témoignage éclatant de la puissance divine. Ainsi réduire le libre arbitre à une mécanique prédestinée reviendrait à dénaturer l’essence même de la relation entre Dieu et l’homme. Cela priverait le christianisme de sa force transformatrice et enlèverait toute portée aux appels du Christ à la conversion ; mais en reconnaissant le libre arbitre comme une grâce divine transcendante, comme un miracle permanent, alors l’Église proclame réellement la bonne nouvelle : nous sommes appelés à la liberté, et cette liberté, accueillie avec foi, peut déplacer des montagnes.
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